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Je décidai d' aller là-bas à pied . La pharmacienne avait observé la scène depuis sa fenêtre et avait remarqué une femme avec un enfant qui semblaient trop voyants ; elle a certainement pensé qu' on leur avait envoyé des femmes avec enfants et que l' on allait imposer aux habitants de les héberger .

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Ne pleurez pas mes fils

Dans les petits villages , chez les Juifs , il n' y avait pas d' administration rigoureuse ; quand un enfant naissait , on indiquait la date dans un livre de prières . Mon grand-père maternel , très pieux , notait par exemple qu' un enfant était né « zwishn Rosh Hashana und Yom Kippur » ( « entre Rosh Hashana et Kippour » )

Lorsque je suis née , mon grand-père l' a effectivement écrit le jour même dans un seferl

Quand mon père a voulu apprendre le russe , son père l' a retiré très vite du h eder ( l' école religieuse élémentaire ) car c' était « a goyishe sprakh » . Et un juif ne devait pas pratiquer une langue « goy

Je suis donc née le même jour que celui où « Raboyné shel Oylem … hot bashafn Khave » ( « le bon Dieu a créé Ève pour Adam , le premier homme » ) .

Lorsque mes parents se sont mariés , ils vivaient dans un petit village ( « a kleynem shtetl » ) pas loin de Kielce .

Là-bas , quand on mariait des enfants , on offrait au nouveau couple de se nourrir chez les beaux-parents ou chez les parents pendant un an ( cela s' appelait « kest » ) . Mais ma mère était très intelligente . Elle savait ce qu' il adviendrait au bout d' une année ! Alors elle a presque imposé à mon père – qui était jeune et ne connaissait pas le monde – l' idée qu' il fallait avoir de quoi vivre pour fonder un foyer et avoir un enfant . Les femmes , en général , ne travaillaient pas , alors elle a demandé à mon père qu' ils aillent dans une grande ville , là où il pouvait gagner de l' argent .

C' est ainsi que mon père est parti pour Lodz . Je suis née en 1912 , deux ans avant la Première Guerre ; ce furent ensuite des années terribles . Nous n' avions rien . Je me souviens encore des bombardements de Lodz . Mes parents avaient déjà deux enfants , mon frère Samuel et moi , et la vie était très dure . Quand mon père allait chercher quelques pommes de terre gelées , c' était dangereux , car en ville il y avait des bandes de voyous , attrapant n' importe qui pour le battre et , s' ils étaient antisémites , « ils se jetaient sur un Juif

En Pologne , c' était la misère . Mon père risquait sa vie à chaque instant pour trouver quelque chose à manger . Un jour , je me souviens d' avoir vu ma mère , assise , s' écrouler , la tête sur la table , évanouie tout simplement de faim . C' était très dur , et c' était la guerre .

Dans le petit village de Lenshno , près de Kielce , habitaient les parents de ma mère et de mon père . On pensait qu' il n' y aurait pas de bombardements là-bas , que ce serait plus sûr pour nous . Je me rappelle encore comment ma mère , avec beaucoup de difficultés , devait passer les frontières : à l' époque , il y avait la frontière russe et la frontière allemande pour aller dans ce petit village . On faisait beaucoup de chemin à pied . Je n' en pouvais plus de marcher .

La Pologne était alors sous occupation russe . Ma mère avançait , un enfant dans les bras , me tenant par la main , et nous parcourions une longue route , et quand il nous fallait traverser une frontière , les douaniers se moquaient de ma mère , parce qu' elle passait ainsi , à pied . Ma mère était une très belle femme , alors les douaniers lui disaient : « Toi , on peut te garder et tu laisses les enfants . » Finalement ils ont dit : « Bon , passe et laisse les enfants » , ou quelque chose comme ça . Ce sont des choses que ma mère m' a racontées , les difficultés qu' elle avait eues pour les persuader de la laisser tranquille ; elle a continué son chemin jusqu' à ce que nous soyons arrivés à Lenshno ; je ne me rappelle pas combien de temps nous sommes restés , nous avons quitté ce village lorsque la guerre a été finie , puis nous sommes allés à Kielce , pas loin de là .

On m' a inscrite dans une école où il y avait des orphelins . J' avais 6 ou 7 ans , et je me souviens que l' institutrice m' a regardée et m' a demandé pourquoi j' avais toutes ces rides . « As -tu tant de soucis ? » Elle ne savait pas que j' avais faim et qu' à la maison tout ce qui se passait nous rendait malheureux .

Moshe , Moshkele ( Maurice ) , est né à Kielce en 1920 . Nous étions cinq enfants . On vivait comme on pouvait . Père et mère avaient beaucoup de mal . Finalement , mon père a été embauché , mais assez loin . Nous ne sommes pas restés longtemps et je n' ai rien appris dans cette école . Une cousine instruite m' a donné quelques leçons , mais ce n' était pas l' école .

Finalement , en 1922 , nous sommes partis pour Varsovie . C' était une grande ville , il y avait des mouvements de soutien à la population juive

Mes parents avaient fait embaucher mon frère aîné , Samuel , par une connaissance qui avait un magasin de fourrure ; les autres enfants étaient petits . Moi j' avais environ 10 ans , peut-être moins , c' était après la Première Guerre mondiale . Mon père était plein de bonne volonté , il aimait beaucoup ma mère et voulait son bien , mais malheureusement il n' avait pas de moyens . Tous les deux , avec tout leur amour , se sont donné beaucoup de peine pour nourrir leurs enfants .

Mon père essayait d' améliorer un peu notre chambre . Il manquait un carreau à la fenêtre . Un type passait juste à ce moment-là dans la rue , criant : « Vitrier ! » . Mon père l' a appelé , et lui a fait réparer cette vitre , « khoybn tsou farirtn » . Les gens sympathi saient très vite avec mon père car il savait comment parler à chacun , il avait l' esprit très ouvert . Il a tout de suite commencé à discuter avec le vitrier , un Juif , lui a raconté ses problèmes , et lui a dit : « Tu sais , mon fils travaille déjà , mais ma fille n' a pas encore d' école . Qu' est -ce que tu me proposes ? » Cet homme s' appelait Sheps , il était parent d' élève dans une école qui se trouvait rue Leshno et nous , nous habitions plus loin , 71 rue Gesia , appartement 14 . C' était très loin ; il lui a donné une lettre pour me recommander auprès de la direction de cette école . On était au milieu de l' année scolaire . Je suis allée avec cette lettre à l' école , j' ai vu la directrice , les maîtres , les professeurs , très ennuyés , qui ne savaient pas dans quelle classe me mettre . Pourquoi ? Parce que je ne connaissais rien , ni la géographie , ni les mathématiques , rien du tout , aucune matière , je ne savais rien .

Un de nos professeurs de littérature yiddish s' appelait Zolotov ; il plaisantait sur son nom , qui signifiait , en hébreu : Zo ( ça ) Lo ( pas ) tov ( bon ) . Il m' a donné un livre , une page à lire ( j' ai toujours aimé lire et je lisais bien ) , après quoi ce Zolotov a dit : « Je la prends dans ma classe . » Les professeurs étaient contents . Ils avaient fini par trouver quelqu'un pour s' occuper de moi . Et quand je suis arrivée , toute la classe m' a prise en charge , complètement . Je me souviens d' une fille qui n' habitait pas loin de chez moi , elle m' a prêté son cahier , est venue à la maison . Chacun m' a prêté le sien , que je pouvais recopier . Vers la fin de l' année scolaire , tous les élèves m' avaient tellement aidée que j' ai pu rattraper le niveau .

J' étais très timide … Les professeurs enseignaient , animés par une véritable vocation ; ils aimaient les enfants , qui les adoraient . Je me souviens d' une leçon de botanique où la maîtresse a montré une fleur , expliqué ses vertus et tous les élèves , peu à peu , se sont rapprochés d' elle pour mieux voir cette plante . Moi , je suis restée sur le banc , au premier rang , je n' osais pas bouger . Les autres m' ont regardée et se sont demandé pourquoi je ne m' approchais pas , et la maîtresse a compris : « Regardez Rozencwajg , elle est obéissante car , en fait , je ne vous ai pas dit de venir vers moi . Vous voyez , c' est comme ça . Elle attend que je vous le demande . Tant que je ne l' ai pas fait , elle ne bouge pas . » Elle leur a montré combien j' étais disciplinée , donnant en même temps une leçon de morale . Et je dois dire qu' elle me faisait toujours une caresse

On avait un bon professeur de chant , Glatstein ; il nous a appris beaucoup de chansons , une par saison . Par exemple : « Der winter iz gekumen … » ( « L' hiver est arrivé » ) .

Peu à peu , j' ai perdu ma réserve et quand les élèves sautaient sur les bancs , je faisais comme eux . Ils m' avaient surnommée « le petit chat » , « a ketsele » , un petit chat , silencieux et timide ; c' était devenu mon surnom . On ne m' appelait pas « Rozencwajg Eva » . Je me suis habituée , il y avait une très bonne ambiance . On s' aimait bien .

Les garçons taquinaient les filles et le jour où ils m' ont fait tomber , j' ai compris que je commençais à réagir comme les autres . Alors ils ont dit « akh , s' ketsele drapet » , « le petit chat griffe » . On était bien ensemble !

Après cette école où il n' y avait que six niveaux , « abtaylung » ( « classe » ) , comme à l' école primaire , nous sommes allés à la « folk shule

Très tôt , j' ai eu le goût du chant et de la poésie .

Mais la situation de mes parents ne s' était pas améliorée , nous étions extrêmement pauvres . Dans notre école , on nous avait inculqué la fraternité , la solidarité . Par exemple , on mettait les repas en commun pour les enfants qui n' avaient pas de déjeuner et tout le monde pouvait manger . À l' école , il y avait une dizaine de bancs et moi j' étais assise sur le dernier , car c' est là que se tenaient les bons élèves , l' élite de la classe , c' est là que je voulais être .

Le meilleur élève de cette classe était le garçon le plus beau , tout le monde l' aimait , et lui avait le droit d' aimer n' importe quelle fille ; il était très en avance physiquement , et nous , les filles de 10-11 ans , nous connaissions déjà l' amour ! Et moi aussi , je l' aimais ! Un jour , il a fait circuler une petite note dans cette rangée : « Êtes -vous d'accord pour créer a krays ( “ un cercle ” ) , un groupe d' enfants com munistes ? » Pourquoi ? Parce qu' il avait un oncle , Itzkhokl , fonctionnaire du parti communiste et qui allait souvent en Union soviétique . Un jour , il lui a dit : « En Union soviétique , il y a une grande organisation de pionniers avec des enfants qui font beaucoup de choses , toi aussi tu devrais fonder un tel mouvement , avec des gens politisés , des militants , des combattants . » Personne ne pouvait dire non , on ne se posait pas de question . Tu veux qu' on soit des enfants communistes , on est des enfants communistes ! Pour cette école du Bund

Après la classe , il y avait un club initié par l' école . Les enfants y allaient , on chantait , on jouait , c' était agréable . Mais la direction a exclu du club quelques enfants ( dont je faisais partie ) car nous étions devenus , pour ainsi dire , des adversaires clandestins et dangereux . J' emploie des mots un peu ironiques car , lorsque je regarde cela maintenant , c' est avec un autre regard , naturellement , mais à l' époque c' était sérieux .

Et qui a -t-on envoyé en représentation ? Moi ! J' ai souvent été la « déléguée » . Je devais lire une lettre disant que nous aimions l' école , mais on ne m' a pas laissé parler

Cette école m' a été bénéfique , c' était vraiment exceptionnel , je n' avais jamais connu une telle ambiance , car nous avions toujours été ballotés d' un village à l' autre . Nous vivions encore dans des conditions très misérables . Là , c' était un monde de lumière , à tel point qu' en hiver , comme je n' avais pas de chaussures pour aller à l' école , les élèves s' étaient organisés : une fille de ma classe est venue chez moi et m' a laissé ses chaussures ; je les ai prises , suis partie pour l' école , et , quand je suis revenue à la maison , je les lui ai rendues , ce sont des gestes que personne ne peut comprendre aujourd'hui , comprendre à quel point les gens pouvaient être ingénieux quand ils voulaient aider . C' était la même chose pour moi : une fois on m' a fait un beau manteau , alors toute la classe a porté le manteau . Elle était comme ça , ma classe , c' était comme ça , mon école . Jusqu' à maintenant , j' en ai gardé un souvenir extraordinaire .

Ce que ces maîtres nous ont appris a été le fondement de toute notre éducation . On ne faisait pas beaucoup de mathématiques , ni de géographie , mais ils nous avaient donné le désir de savoir : la littérature yiddish , naturellement , était la base . On a connu Sholem Aleykhem , bien sûr – Tevie der milkhdiker ( « Tévié le laitier » ) , Motl Pessie dem khazn ( « Motl , fils du chantre » ) – , et Peretz . J' ai beau coup aimé la littérature , je l' aime toujours . Justement , quand il y avait un poème à dire , c' est moi qui récitais . J' ai conservé , jusqu' à ce jour , dans ma mémoire , le poème de Moshe Kulbak

Moshé Kulbak rapporte une conversation avec les paysans , il dit qu ' « il aime bien marcher , il voit un monde ignoré , maintenant il voit qu' il y a un monde formidable , inconnu de lui . Il embrasse la terre … » , et il parle de ces paysans , raconte comment il rencontre en marchant un vieux paysan et lui dit : « Tu te rends compte , Manilé , eux ils mangent beaucoup , et nous , moi et toi , on doit juste prier , comme on fait la prière après le repas . » Alors le paysan lui répond : « Oh là là , tu es bête , qu' est -ce que tu crois , eux ils cirent leurs bottes et portent de petites cravates , mais finalement qu' est -ce que c' est que l' homme , rien du tout , rien qu' un tesson de poterie

Nous avions de nombreux professeurs , les meilleurs , parce que c' étaient des intellectuels ; pas spécialement formés comme enseignants , des intellectuels juifs qui connaissaient la littérature . Nous avions Mendelssohn , un littéraire , Guilinsky , nous avions même Yankev ( Jacob ) Pat

Nos maîtres ont su éveiller notre curiosité .

Ma mère , elle était formidable , ma mère ! Même pendant la guerre , même à Bruxelles , tous les camarades , les miens , ceux de Guta , ceux d' Albert , l' adoraient ; elle était une mère pour tout le monde . Tous l' aimaient . On l' avait surnommée « La Mère » , comme celle de Gorki ! Elle distribuait des tracts à la place de mon frère .

J' avais presque 20 ans et Hitler allait prendre le pouvoir . En 1931 , je connaissais déjà Chaïm , mon futur mari . Quand il a su que mon père était parti pour Bruxelles , et que probablement toute la famille allait suivre – Eva irait donc aussi à Bruxelles – , il s' est demandé ce qu' il allait devenir , car il m' aimait ! Un de ses proches devait aller clandestinement à Bruxelles et lui a proposé de partir avec lui . Mais Chaïm n' avait ni argent ni visa . Son parent lui a dit : « Bon , tu viens avec moi , quand le contrôleur passera , tu te cacheras sous le banc . » C' est ce qu' il a fait . Et il est arrivé à Bruxelles .

Mon père a écrit à ma mère : « Rukhelayeshi

Moshke a eu un chagrin immense d' avoir à quitter cette école , et en a tellement souffert que cela lui a provoqué une hémorragie cérébrale . Beaucoup de gens qui s' expatriaient ont gardé toute leur vie la nostalgie du lieu de leur naissance . Ce fut le cas pour lui , mais il s' est vite adapté à Bruxelles , il a travaillé , puis il a milité à l' association des Jeunes ( militants syndicalistes ) , là encore , il a été aimé d' emblée par les camarades .

Albert et moi sommes partis légalement pour Bruxelles , nous avions un visa , et le douanier savait , par celui de la frontière précédente , qu' un garçon et une fille passaient la frontière ; le contrôle était fait , il y avait juste à veiller sur nous afin qu' il ne nous arrive pas de mal . Nous n' avions aucun bagage . J' apportais à ma mère une plante , car elle les a toujours beaucoup aimées , elle en avait une qui s' appelait « stouletnik » , qui vivrait cent ans , à ce qu' on disait , et ma mère l' a gardée longtemps . Elle était dans un grand pot et a passé la douane , c' était un peu drôle

À notre arrivée à Bruxelles , nous avons pris le tramway . Et quand nous en sommes descendus – ce n' était pas loin du domicile familial – Chaïml

Dès l' arrivée de ma mère , mon père avait voulu l' éblouir , lui montrer qu' à Bruxelles , dès lors , ce serait la richesse , un monde formidable ; il avait apporté un sac d' oranges – parce que les oranges en Pologne , on le sait , on n' en trouvait pas … – , il les avait déversées par terre . « Er hot oysgeshit dem zak » , pour lui montrer que désormais le bien-être allait s' installer

J' adorais mes parents : mon père , qui savait raconter de ravissantes légendes , ma mère , le plus souvent le dos voûté devant une machine à coudre , s' acharnant à l' ouvrage .

Chaïm et moi avons habité chez mes parents . J' ai commencé à travailler « vi a hant » ( comme finisseuse ) chez un tailleur . Chaïm était arrivé à Bruxelles clandestinement , il n' avait aucun papier . Il voulait travailler lui aussi , il voulait aider . Il est allé dans un atelier , chez un tricoteur , je crois . Naturellement , la police chassait les clandestins . Elle l' y a trouvé , l' a arrêté et jeté en prison .

Chaïm y est resté deux ou trois semaines , puis on l' a expulsé , mis dans un train , et la police l' a conduit avec plusieurs autres hommes à la frontière franco-belge . Les étrangers qui travaillaient sans papiers étaient ramenés à la frontière française . Les clandestins descendaient . Les policiers retournaient à Bruxelles , les clandestins prenaient le train suivant et revenaient eux aussi à Bruxelles !

La Belgique était occupée par les Allemands et les Belges avaient commencé à riposter , parce qu' ils gardaient « une dent » contre les Allemands depuis la guerre de 1914 . La Belgique a beaucoup souffert de cette occupation . Dès le début , la population a été très hostile aux Allemands , et Moshke , avec le groupe des socialistes , a commencé à faire de la résistance

Moi , je pouvais aller à Paris quand je voulais , je faisais le va-et-vient , j' étais « légale » puisque j' étais venue à Bruxelles avec un visa . Chaïm , expulsé

J' ai rejoint mon mari , Charles ( Chaïm ) Goldgewicht , en février 1934 . Comme des milliers d' autres émigrés , chassés vers la France par la crise économique et les dictatures , j' étais hantée , ainsi que les miens , par la misère et la crainte de l' expulsion .

Plus tard , une autre vie a commencé . Mon frère aîné était aussi à Paris avec sa femme , il travaillait . Charles et moi sommes tombés amoureux de Paris . Nous n' avions rien , et marcher dans Paris fut notre principale occupation . Voir les vitrines des boulangers était notre plaisir , les pains sentaient bon !

Paris , capitale de la culture et de la liberté que j' avais idéalisée ! Je me retrouvais cependant sans ressources aucune à tirer de mon savoir . Il fallait , pour survivre , coudre des boutons , surjeter des pull-overs

Heureusement , il existait des organisations juives progressistes : la Kultur Liga

Il y avait aussi le YASK

La première chose que nous avons faite a été de lire Jean-Christophe

Nous avons donc commencé à lire en français . Quand Chaïm était en prison à Bruxelles , avant d' être expulsé vers la France , j' ai voulu lui écrire une lettre ; il possédait déjà des rudiments de français , appris dans un cours du soir . Je cherchais les mots dans un dictionnaire , je voulais lui dire que je m' occupais de lui , de lui trouver , avec des amis que nous avions , un avocat pour le défendre . On savait bien qu' au bout de deux semaines on l' expulserait . Je voulais dire : « Charles , tu peux être tranquille , je m' en occupe . » J' ai cherché comment écrire « tranquille » , et comment dire « Sois tranquille . » Finalement , qu' est -ce que j' ai trouvé , en yiddish ? « Zay ruhik » : « Reste tranquille . » Alors , je lui ai écrit cela avec un point d' exclamation : « Tiens -toi tranquille ! » Mon Chaïm me l' a longtemps reproché en rigolant . Je lui disais en fait : « Tu es en prison , reste tranquille , restes -y » … J' avais pris des cours de français à Bruxelles

À Paris , nous commencions petit à petit à nous débrouiller . Nous avions une chambre dans la même maison que mon frère . Je travaillais dur pour coudre des robes et j' arrivais pourtant à me ménager quelques moments de lecture . Je dévorais les livres empruntés à la bibliothèque municipale .

Lorsque nous avons été plus tranquilles du point de vue matériel , et le jour où j' ai réussi à obtenir « une pièce cuisine » après avoir habité à l' hôtel , mon mari et moi avons décidé d' avoir un enfant . Il faut dire que depuis huit ans que nous vivions ensemble , Chaïm et moi , nous « faisions attention » . Nous avons alors stoppé toute « vigilance » . Et voilà , Jeannot est né le 7 mai 1937 . Mon accouchement lui aussi a été un événement extraordinaire .

J' étais inscrite dans une maternité à Port-Royal , hôpital et école de sages-femmes . On pouvait y accoucher sans payer .

Le moment venu , j' y suis allée en métro avec Stéfa , la femme de mon frère Simek , et je descendais à chaque station parce que je sentais que … , mais finalement je suis arrivée à la maternité . L' infirmière me questionne … il faut vous dire que Chaïm et moi n' étions pas mariés , mais comme on savait qu' on allait bientôt avoir un enfant , nous sommes vite allés à la mairie pour que l' enfant puisse porter le nom de son père . Nous nous sommes mariés à la mairie du XIX e arrondissement , le 6 avril 1937 . À la maternité , quand l' infirmière a voulu noter mon nom et la date de mon mariage , je ne m' en souvenais pas . Pour nous , le mariage , c' était tellement drôle ! C' était juste pour officialiser la naissance de notre enfant . Elle m' a regardée d' un air curieux et m' a dit : « Vous savez , moi , je suis mariée depuis je ne sais plus combien de temps , mais je m' en souviens comme si c' était hier ! » La date m' est finalement revenue … Le 6 avril 1937 , à la mairie du XIX e !

J' étais vraiment naïve et ignorante , je ne savais même pas ce que voulait dire accoucher . La beauté , une certaine éthique , cela , oui , je connaissais , mais comment une femme était faite , cela m' était complètement étranger . Ma mère n' était pas avec moi , personne ne pouvait m' expliquer comment je devais me comporter , et j' ai donc observé mon corps . J' étais allongée sur une sorte de table de travail ; j' ai remarqué une horloge en face de moi , j' étais contente , je voyais les heures , c' était dix heures du matin , mais tout d' un coup mon corps s' assied , sans que je le veuille , ça se faisait tout seul , comme ça . Je me suis dit : « Tiens , c' est bizarre » ; chaque fois que la sage-femme venait , elle disait : « Non ce n' est pas encore le moment » ; et à l' autre bout de la grande salle où il y avait d' autres femmes sur d' autres tables , des jeunes qui se racontaient des histoires , ça rigolait , et nous , les femmes , devions accoucher dans la douleur – à l' époque l' accouchement sans douleur n' existait pas encore – mais pour moi ça n' était pas trop pénible ! Finalement , la sage-femme a commencé à me faire bouger pour que j' expulse mon enfant , et quand il est sorti , mon Jeannot , la première chose que j' ai demandée a été : « Madame , comment il est ? » , je voulais savoir s' il était beau , s' il avait tous ses membres . Elle m' a répondu : « Il est rose comme votre peau . »

Cette maternité était une véritable usine . De retour à la maison , j' ai continué à l' allaiter ; et j' avais droit à un petit quart de lait , mais c' est une autre histoire !

Toute ma famille , aussi bien en Belgique qu' en France , s' était engagée dans le combat contre les nazis . De nombreux militants fréquentaient la famille de Bruxelles . Nous avions de tout temps aspiré à des idées de justice et d' humanisme . Notre mère était toujours prête à aider les camarades dans leur lutte pour la justice .

Mon père était directeur d' une école juive à Bruxelles avant et après la guerre . C' était un homme très érudit . Il demandait qu' on enseigne le yiddish aux enfants . Mais il fallait être communiste ! Et une certaine Ida , institutrice , était contre lui car elle lui trouvait un « discours nationaliste » . Elle lui a mené la vie dure ! Mais l' institutrice principale , une Madame Finger , s' entendait bien avec lui . Il a enseigné jusqu' à sa mort , en 1950 .

Mes frères Albert et Maurice ( Moshke ) et ma sœur , Guta , avaient caché nos parents à Linkebeek , près de Bruxelles . Ils leur rendaient visite et leur apportaient des vivres . Mes parents ignoraient leur activité dans la lutte armée contre l' occupant . Ils étaient cachés dans une famille qui exprimait ainsi sa haine des nazis et sa sympathie à l' égard de la population juive traquée et menacée de déportation . Cette famille avait des comptes à régler depuis la guerre de 1914-1918 .

Mes parents habitaient alors dans une maison entourée d' un grand jardin planté d' arbres . Ils étaient cachés sous les toits , dans une mansarde de la maison des propriétaires , Monsieur Joseph et Madame Yvonne , qui leur apportaient très gentiment de la nourriture et du bois pour se chauffer en hiver .

Il y avait dans cette brave famille un petit garçon blond de 2 ans , l' âge de mon fils Jean . En hiver , il montait souvent chez mes parents . Ils le prenaient dans leur lit , entre eux , pour le réchauffer

Un jour , une épicière qui leur servait de contact remit à Guta une lettre venant de la prison Saint-Gilles adressée à « Madame Gilberte » , le pseudo de Guta : Gilberte Renard . Notre frère Maurice s' était souvenu de son nom et de l' adresse , rue de Serbie . Guta ouvrit la lettre , sa lettre d' adieu , et s' enfuit après avoir lu les premiers mots

Quelques jours plus tard , le journal Le Soir publia la liste des dix résistants fusillés par les nazis , et parmi eux se trouvait le nom de notre petit frère Maurice et ses deux camarades , Potashnik et Wajchman .

Monsieur Joseph , le propriétaire de la maison , apportait aussi chaque jour le journal à notre père après l' avoir lu . Albert et Guta décidèrent alors d' empêcher notre père de lire ce numéro . Très tôt le matin , Albert se cacha dans les arbustes pour guetter le facteur . Une fois le journal glissé dans la boîte aux lettres , Albert le retira puis repartit aussitôt . Le soir même , Guta arriva chez nos parents , la lettre de notre petit frère dans son sac . Ma mère lui demanda pourquoi elle était si pâle , si elle était malade . Naturellement , elle trouva un prétexte et lui cacha la vérité .

Mon frère Albert fut arrêté le 15 juin 1944 comme réfractaire au Service du travail obligatoire ( STO ) et déporté à la frontière tchèque dans une fabrique de munitions , à Zittau

Seule Guta ne fut pas arrêtée . Elle seule rendait visite à nos parents . Ils savaient que tout le monde avait été arrêté , mais rien de plus . Certaine qu' elle le serait aussi , elle conduisit chez nos parents un prêtre protestant , Monsieur Omkins , ami de notre père . Il fallait que quelqu'un connaisse leur cachette .

Samuel , mon frère aîné , né à Lodz en 1909 , avait quitté la Pologne en 1929 pour la Belgique , puis s' était fixé en 1934 à Paris . Il militait dans des organisations communistes .

Dès les premières semaines de l' Occupation fut fondée à Paris l' organisation juive de résistance Solidarité

Samuel s' engagea alors dans la lutte clandestine . Arrêté en mai 1941 , il fut interné au camp de Beaune-la-Rolande

Tout en étant très attachée à la culture juive , j' étais « internationaliste » . Pour moi , dans n' importe quel pays , les communistes , c' était la famille

Dans mon quartier , je militais sous le pseudonyme de « Gisèle Moreau » . J' assistais aux réunions du mouvement Solidarité , j' aidais à collecter le lait , l' argent et les médicaments pour les républicains espagnols .

Je participais également au groupe qui assurait la sécurité des camarades juifs transitant par la France pour rejoindre l' Espagne . J' avais une grande admiration pour l' URSS , premier pays à avoir instauré le socialisme .

C' est pourquoi , le 23 août 1939 , ce fut la stupéfaction : le pacte de non-agression germano-soviétique

La guerre a été déclarée par la France le 3 septembre 1939 , mon mari s' est engagé volontaire le 13 novembre 1939 . C' est peut-être en ce mois de novembre qu' on a commencé à évacuer les femmes et les enfants de la capitale .

Le gouvernement français avait eu une peur panique que l' aviation allemande ne bombarde Paris , et on avait distribué des masques à gaz et organisé l' évacuation des femmes et des enfants vers la campagne . On nous a envoyés par train à Bessé-sur-Bray , près du Mans .

Une fois là-bas , ce fut une catastrophe . Rien n' était préparé . Il y avait un peu de paille dans une usine abandonnée , c' était déjà l' automne , et on nous a dit de nous y installer . Mon enfant était plutôt fragile , et j' ai compris que je ne pourrais pas rester là . Je l' ai pris dans mes bras , je suis allée sur la place . Il y avait la mairie d' un côté , la pharmacie de l' autre , et j' ai fait un scandale . Tout le monde m' a entendue . J' ai crié : « Comment est -ce possible ? On veut nous éviter la mort , mais c' est ici la mort . Je m' en vais d' ici , je pars à l' hôpital . » L' hôpital devait se trouver à dix kilomètres de là , à Saint-Calais . Je décidai d' aller là-bas à pied . La pharmacienne avait observé la scène depuis sa fenêtre et avait remarqué une femme avec un enfant qui semblaient trop voyants ; elle a certainement pensé qu' on leur avait envoyé des femmes avec enfants et que l' on allait imposer aux habitants de les héberger . Elle m' a donc choisie . Ce fut une très bonne chose : elle m' a donné une chambre avec un lit et des draps propres , il y avait un robinet où je pouvais laver mon petit , et comme il a eu tout de suite mal à la gorge , le pharmacien m' a donné ce qu' il fallait pour le soigner et nous avons été très bien logés dès le début .

Je me suis installée dans cette pharmacie dans des conditions humaines . Un médecin logeait , je crois , à la mairie . J' étais vraiment bien entourée .

Avant d' être enrôlé , mon mari avait appris où nous étions . Comme beaucoup d' autres engagés volontaires , il s' était retrouvé au camp de Barcarès . Profitant d' une permission , il a pris un vélo pour venir nous voir car c' était le Nouvel An . C' était la fête chez les pharmaciens . Il y avait le maire , le docteur , et moi . J' avais un bon contact avec tout le monde . Je parlais déjà le français mais avec un accent , et on discutait beaucoup . À un moment , ils m' ont demandé où j' avais passé mon bachot . C' était très drôle . Mais je n' ai rien répondu , je ne voulais pas les décevoir .

Puis les relations se sont dégradées avec la pharmacienne . Pourquoi ? Parce que j' avais eu l' imprudence de lui dire que j' étais d' origine polonaise . Cela a été la catastrophe . Elle ne pouvait pas supporter les Polonais . J' ai vu que cela n' irait plus avec elle , et je me suis trouvé un autre logement , chez les Villoteau , loin de la place du Marché . C' est à la gare , là-bas , que j' ai vu tous les blessés défiler dans des wagons ouverts , couverts de bandages , c' était terrible . Avec mon Jeannot dans les bras , nous regardions tous ces trains qui passaient .

J' avais reçu une carte de Charles me disant qu' il partait sur le front de l' Est , qu' ils étaient dans la Somme , il savait qu' ils n' étaient pas loin de la Bel gique , il était tout heureux d' être enrôlé dans l' armée française pour défendre la France , et la Belgique , où se trouvaient nos parents . Quand j' ai vu tous ces soldats blessés , j' ai pensé que mon mari pouvait en faire partie , et que peut-être je réussirais à le trouver au Mans . Le médecin m' a emmenée en voiture . J' ai laissé Jeannot chez les Villoteau , et je suis allée chercher Charles . J' ai fait tous les hôpitaux du Mans , mais naturellement il était déjà détenu , puisque les Allemands avaient ramassé tous les soldats faits prisonniers pour les emmener en Allemagne .

Nous avons vécu comme nous pouvions , dans cette chambre , chez Madame Villoteau . Sa mère était malade . Sa fille , Gisèle Villoteau , très gentille , a tout de suite aimé mon Jeannot , et ils s' entendaient très bien . Mais mon fils était de santé délicate . Dès qu' il faisait mauvais , il attrapait une angine . Comment raconter cette année passée là-bas ? On n' avait rien , je n' avais aucun contact , j' attendais des nouvelles de Charles . Lorsque l' armistice fut signé , en juin 1940 , le gouvernement a décidé de rapatrier à Paris les femmes et les enfants . Alors je suis revenue dans mon logement du 151 , rue de Crimée ; mon frère Simek et ma belle-sœur habitaient un immeuble plus loin .

La France était occupée . Mon mari ayant été fait prisonnier le 6 juin 1940 , je me retrouvais seule avec mon fils Jean , âgé de 3 ans . Je vivotais grâce à de petits travaux de couture .

Mon autre frère était en Belgique . J' ai reçu la première carte de Charles du Stalag VII A-383 à Hohenfels

Nous étions donc revenus à Paris , en 1940 . J' ai organisé ma vie du mieux possible avec mon enfant . En tant que femme de prisonnier , j' avais une allocation , insuffisante pour nous nourrir ; j' ai donc commencé à travailler de temps à autre chez la couturière qui était dans l' immeuble , quand je pouvais caser Jeannot . Cela m' a permis de gagner un peu d' argent .

Puis l' hiver est arrivé . J' avais une amie , Tsela , qui habitait en face de chez moi ; son mari était prisonnier de guerre comme le mien ; elle aussi avait un garçon . Nous avons décidé de vivre ensemble dans mon logement , assez spacieux , pour économiser le charbon . Quand l' une allait faire la queue dans un magasin , l' autre gardait les deux enfants . Nous avons vécu ainsi quelque temps .

Après l' armistice du 22 juin 1940 , et Pétain qui avait fait « don de sa personne à la France

Cette rafle , bien organisée , s' appuyait sur les listes établies lors du recensement des Juifs ordonné le 27 septembre 1940

Je m' organisai alors d'autant plus pour lutter .

Une des missions de l' organisation juive de résistance Solidarité était de prendre en charge les femmes juives restées seules avec leurs enfants , souvent totalement démunies , car un grand nombre d' hommes avaient été arrêtés et internés à Pithiviers et Beaune-la-Rolande – plus de 11 000 en mai 1941 – avec l' accord de Vichy .

Le 27 mars 1942 , ce fut le premier convoi vers Auschwitz .

Le 27 mai fut décrétée l' obligation de porter l' étoile jaune pour les personnes d' origine juive

Dans le pot à lait , dans les provisions ou dans nos gaines même , nous cachions les tracts rédigés en yiddish .

Puis ce fut la rafle du Vél ' d' Hiv '

Le 15 juillet 1942 , des policiers antinazis et des personnes travaillant à la préfecture avertirent les communistes et d' autres , avec qui ils avaient le contact , que le lendemain , à l' aube , commencerait une grande rafle dans tous les quartiers à forte population juive . Les militants communistes fabriquèrent immédiatement des tracts conjurant les Juifs de déménager sur-le-champ , de ne pas ouvrir leur porte le lendemain matin , et même dès le couvre-feu du 15 .

Je m' étais juré qu' ils ne me prendraient pas vivante . Je poussai une commode contre la porte , pris la main de mon fils dans la mienne . Il avait 5 ans , mais il ne soufflait mot . À quatre heures du matin , il faisait encore nuit noire lorsque des coups ébranlèrent les portes . Il y avait beaucoup de familles juives dans ma maison . La police en possédait la liste depuis 1940 , immeuble par immeuble . La Gestapo avait le double . J' entends encore le vacarme , les cris , les pleurs , les coups

Toute la journée du 16 juillet , je restai enfermée sans bouger . On tapait dans ma porte – la police . Ils ont dit : « Mme Goldgewicht , vous ne craignez rien , vous êtes femme de prisonnier . » Mais moi , je me méfiais , je ne voulais pas ouvrir . J' ai bien fait . Parce qu' après on a su que même les femmes de prisonniers …

Heureusement , j' étais en bons termes avec tous les locataires de cette maison . Lorsque les policiers ont frappé chez moi et que je n' ai pas ouvert , les gens savaient . Avec Jeannot on ne respirait pas , on n' a pas prononcé un mot , et à un moment j' ai vu un papier glissé sous ma porte , l' épicière m' avait écrit : « Madame , vous pouvez ouvrir , ils sont partis . »

Puis il fallut bien réagir . Alors je me hasardai dans l' escalier , un pot à lait vide à la main , et j' allai jusqu' à la quincaillerie voisine . La patronne me connaissait . Elle pouvait me dénoncer . Je la suppliai : « Je vous en prie , téléphonez à tel numéro , dans la Sarthe , et dites “ chercher l' enfant d' Eva ” pour qu' on vienne d' urgence chercher mon fils . » Sans enthousiasme , la quincaillière me rendit ce service .

Je laissai mon fils chez des connaissances en lui disant de m' attendre une demi-heure … Il ne pouvait pas comprendre pourquoi sa mère ne revenait pas le chercher comme elle le lui avait promis ! La demi-heure dura deux ans et demi ! Il allait vivre caché , placé dans différentes familles d' accueil par les camarades de la Résistance .

Madame Villoteau , dont la maman était souffrante , n' avait pu garder Jean chez elle et l' avait confié à une voisine , dont le mari était un ivrogne . Quand je suis revenue là-bas au bout de quelques semaines , j' ai vu un petit garçon « noir » . Je suis à la porte , je vois cet enfant , je ne sais comment le décrire . Il me fallait avoir l' air normal . Cette femme a vu que la maman était arrivée et elle a voulu me montrer comme elle soignait bien mon enfant . C' était une pauvre femme , je ne lui en voulais pas , mais comme mon fils était couvert de gale , elle l' a mis dans un baquet d' eau et elle a commencé à le frotter avec une brosse en chiendent ! Finalement , elle m' a donné un lit propre avec mon Jeannot . Et cette nuit-là , j' avais mon Jeannot dans mes bras . Mon Jeannot n' a pas dormi et moi non plus , et il disait à chaque instant : « Maman , tu es là ! » Comment vous raconter dans quel état j' étais , c' est impossible

Le lendemain matin , j' ai emmené Jeannot chez une autre voisine et je lui ai dit : « Jeanélé , je ne te laisserai pas là , je viendrai te chercher dans trois semaines » , mais il ne savait pas ce qu' étaient trois semaines , alors je lui ai dit « tu compteras trois dimanches » . Je savais qu' au bout de trois dimanches j' aurais ma fausse carte d' identité . J' ai dit à cette femme : « Je reviendrai vous rendre visite » , je n' ai pas dit que je viendrais le rechercher . Quand je suis revenue et que je lui ai dit que je voulais l' emmener à l' hôpital parce que la gale avait progressé , elle m' a répondu : « Je sais que vous ne me le ramènerez pas . » Je n' ai pas eu à lui donner d' explications . J' avais déjà prévu avec Sophie Schwartz

Jeannot avait une plaie sur la plante des pieds , infectée , et il devait marcher . Il avait déjà 5 ans , nous étions en 1942 , je ne pouvais plus le porter et , de plus , j' avais un ballot .

Je l' ai emmené à l' hôpital des Enfants Malades , à la consultation du docteur Leibovici , chirurgien et membre de la Résistance . Devant l' état de Jean , le médecin a préféré le garder pour le soigner , sans qu' il soit enregistré comme patient officiel , et m' a promis de le faire mettre en sécurité lorsqu' il serait guéri . On me donnerait aussi une lettre de la Résistance

Nous sommes arrivés chez les Suisses , à Argenteuil , le soir , il fallait que je me sauve , je devais rentrer avant le couvre-feu . Cette femme a vu dans quel état était mon fils , elle était très propre

Jean ! Elle t' a mis les pieds dans une cuvette d' eau et tu hurlais de douleur , à cause de cette plaie , et moi , à la porte – je n' oublierai jamais . Tu étais assis sur une chaise , elle s' occupait de toi , et moi je devais partir . Encore une fois je t' abandonnais . Elle t' a soigné .

Puis je suis revenue .

Je ne savais pas qu' il y avait aussi l' enfant d' une amie , un autre garçon , Charlot Stockman . Cette amie était cachée là-bas avec lui . Jean était devenu son « chef » . Marie Stockman , sa mère , m' a raconté après la guerre comment il s' était comporté avec ce Charlot , qui lui obéissait en tout . Jean avait décidé qu' il avait les cheveux trop longs . Il les lui a coupés !

Au mois de mai 1943 , on a fêté son sixième anniversaire chez les Suisses , où il est resté quelques mois . Je suis arrivée avec un petit cadeau pour lui et nous sommes restés dans les champs quelques heures . C' était ton anniversaire . Et c' était mon « au revoir » , puisque je ne savais pas si je pourrais revenir .

Une fois mon fils en sécurité , j' enlevai mon étoile et quittai mon domicile pour aller chez So phie Schwartz , une amie de la Résistance juive

Avec mes compagnes , nous nous rendions

Pour mieux organiser mon travail militant , j' habitais avec une amie , Malka . Nous étions des dizaines à parcourir les III e , X e , XI e , XIX e et XX e arrondissements de Paris qui comprenaient une grande proportion d' habitants juifs .

En dépit de la terreur , des centaines de femmes juives et non juives manifestèrent fin août devant la porte du camp de Drancy pour exiger la libération immédiate des enfants , des vieillards et des malades . Le 11 septembre , cent vingt femmes , accompagnées de leurs enfants , manifestèrent devant l' Office des prisonniers de guerre , place de Clichy ( IX e ) , pour réclamer la garantie que les familles des prisonniers de guerre ne seraient ni déportées ni internées . Une délégation composée de quatre femmes , dont je faisais partie , fut reçue par le directeur .

J' étais désormais en pleine illégalité . J' assumais alors la fonction d' agent de liaison de Idl Korman , de son vrai nom J. Barszczewski , adjoint d' Adam Rayski

Les groupes de la MOI créés par le Parti communiste avaient tous une « section TA » ( travail antiallemand ) dont le but était de prendre contact avec des militaires allemands pour leur saper le moral ou en obtenir des informations . Pour cela , les femmes étaient là encore fort utiles : de préférence blondes ou rousses , connaissant l' allemand , le polonais ou le russe . Elles se faufilaient dans les lieux fréquentés par les soldats ennemis : casernes , bars , cafés , Soldatenkinos ( « cinémas à soldats » ) . Parmi les 400 membres du TA , il y eut un grand nombre de jeunes femmes juives , dont la majorité est morte en déportation .

Sophie tenait particulièrement au sauvetage des enfants . Fin mai 1943 , écrit Adam Rayski

© Adam Rayski d'après l' original manuscrit conservé aux Archives de la préfecture de police .

Il y eut d' autres actions , j' ai su qu' un groupe de femmes avait été pris dans une rafle au métro Porte d' Orléans , les poches pleines de grenades à main . L' une d' elles , Hélène Kro

Quand j' ai été arrêtée , en juillet 1943 , les camarades ont eu peur que l' on trouve l' adresse où était mon fils , ils l' ont emmené près de Château-Thierry , à Mont-Saint-Père , chez les Levavasseur . Il y avait là également tout un réseau de gens qui cachaient des enfants . Il y avait aussi la fille de Gina Goldstein et d' autres enfants .

J' étais donc agent de liaison de Idl Korman et j' allais à différents rendez-vous . Il fallait que je sois bien habillée , aussi je me rendis à Aubervilliers chez une couturière , Madame Vireviale , recommandée par Rachel Zelmanovitch

Fin juin 1943 , après deux mois de filatures

J' ai été arrêtée le 2 juillet .

J' étais dans une « planque » , 53 rue Compans , XIX e arrondissement , avec Cipora Gutnic

S' y trouvaient déjà un grand nombre de camarades arrêtés le même jour ou la veille , parmi lesquels mon responsable , Idl Korman mais , étant son « agent de liaison » , j' étais isolée des autres , dans une pièce gardée par un policier .

Dès cet instant , j' ai su que je devais rassembler toutes mes forces pour supporter les questions , ne pas y répondre : « Qui est ton chef ? Que signifient ces phrases écrites ? Ces chiffres ? D' où tiens -tu ta fausse carte si bien imitée ? Où est ton enfant ? … » Nous avions été avertis que la torture était chose courante durant l' interrogatoire des résistants . Et notre pensée unique , notre volonté unique était de tenir , de préserver notre dignité humaine .

Une pièce vide , juste une table devant laquelle était assis un homme , les jambes enchaînées , visiblement très éprouvé par les sévices .

J' ai compris que nous étions de la même « famille » . Nous nous sommes salués des yeux .

Peu à peu , j' ai appris qu' il se nommait Boria Lerner

En chuchotant , il m' a expliqué que pour lui , c' était fini , qu' il allait certainement être fusillé , et que pour moi le verdict serait le camp de Drancy , que j' y trouverais Hadassa . Il m' a demandé de lui transmettre que son mari allait mourir avec courage , que ses dernières pensées seraient pour elle et leur bébé

J' ai vu cet homme aux convictions profondes , au cœur généreux . J' étais très émue . Quand la police est venue me chercher , d' un long regard nous nous sommes dit adieu

J' ai été emmenée au commissariat du XIX e arrondissement , puis à la préfecture où je suis restée dix jours . Nous avions une paillasse au sous-sol pour dormir .

Ensuite , dans les fameux autobus , nous avons été conduits à Drancy où j' ai passé encore dix jours .

Au camp de Drancy

Mon souvenir le plus terrible , c' est sûrement celui des enfants qui étaient là .

Nous étions mille personnes déportées le 31 juillet 1943 de Drancy

Du train qui m' emmenait à Auschwitz , j' ai jeté une lettre destinée à Madame Vireviale qui lui a été transmise . De la préfecture , je lui avais fait remettre également mon livret de famille par un agent de police en civil qui avait bien voulu accepter de le faire . À mon retour de déportation , je l' ai retrouvée et lui ai demandé de me rendre ma lettre . Elle m' a dit : « Pour moi , c' est sacré , je ne vous la redonne pas . » Puis un jour , elle m' a téléphoné : « J' ai 77 ans , venez , je vous rendrai la lettre » !

Madame ! Vous serez bien aimable d' envoyer ce petit mot à l' adresse suivante :

Madame Vireviale : 38 , rue du Vivier à Aubervilliers . J' espère ne pas trop vous déranger maintenant , et pouvoir vous récompenser un jour . Merci

Drancy le 30 VII 43

Ma bien chère Amie !

Le sort a voulu que vous deveniez marraine de mon enfant plus vite que vous ne l' avez voulu . Je n' ai pas de chance d' avoir eu un mot de vous avant mon départ . Je ne sais pas où se trouve mon petit garçon , où je devrais aller le trouver , quand un jour je reviendrai à la vie . Pourtant je pars courageuse et avec la ferme conviction que mon enfant ne sera pas abandonné , que vous , j' ose dire : « ma chère amie » , restez pour me remplacer auprès de lui . Trouvez mes amis , ils vous aideront et si possible vous donneront de mes nouvelles . Adressez vous à Madame Katz : 151 , rue de Crimée , qu' elle tâche de trouver Sophie par Malka , elle saura comment faire . J' ai envoyé des papiers importants à son adresse . La carte d' alimentation , la carte de textile , la carte de colis et la carte de tabac , si vous ne l' avez pas reçue , doit se trouver à l' épicerie au 114 rue de Crimée chez Madame Moussa [ ? ] . Prenez tous ces papiers et arrangez tout pour le mieux . Pour la lettre à mon mari je ne sais pas comment vous allez faire . Je n' ose pas vous charger de cela . Enfin , je ne peux rien . Je ne suis plus qu' un numéro dans un wagon plombé ( 360 ) . Mais ne vous en faites pas , j' ai très bon moral et je compte absolument revenir et bientôt . Je vous embrasse avec toutes mes forces , avec tout mon amour maternel si cruellement éprouvé . Un bon baiser pour mon Jeannot . Un bonjour pour toute la famille . Dans trois heures on part à l' aube .

Je vous embrasse , je vous embrasse . Je vous crie de toutes mes forces : Au revoir !

Votre Eva

Quand nous sommes descendus du train sur la rampe de sélection

Alors , il y eut la « sélection » . Qui entrait dans le camp et qui allait directement dans la chambre à gaz .

Les souvenirs sont toujours présents à l' esprit : les coups , les menaces , l' atmosphère infernale de l' apocalypse , cet univers inhumain dans lequel j' avais été projetée .

On nous chassait des wagons , c' était comme un pogrom , terrible , les hommes à part , les femmes à part , les enfants avec les femmes … dans mon wagon il y avait une femme avec une petite fille , je n' oublierai jamais ! Quand elle est descendue avec l' enfant dans ses bras , le mari était on ne sait où , les Allemands annoncèrent que pour ceux qui étaient fatigués , il y avait des camions , qu' ils devaient y monter , ils retrouveraient les leurs après . Cette mère ne voulait pas se séparer de sa petite fille . L' Allemand a vu en elle une femme jeune et forte qui pouvait travailler , il a voulu lui prendre l' enfant pour la mettre dans le camion . Elle ne voulait pas laisser l' enfant , c' était … s' il me reste une seule image de ma descente du train , c' est celle-là . Cette femme à qui on arrache son enfant , elle était belle , avec des cheveux noirs , elle avait des yeux fous . Le SS lui a dit : « Si tu ne veux pas te séparer d' elle ( son enfant ) , va avec elle ! » Et elles sont montées dans le camion

Ensuite , il continue la sélection . Il demande les femmes mariées : « Tu es mariée , bon , va là ! » Il m' a choisie la première de notre groupe , qui était déjà bien soudé . Les autres m' ont suivie dans la rangée où il m' avait envoyée , Hadassa Tennenbaum Lerner d'abord , et c' est ainsi que nous sommes restées ensemble , toutes les onze .

Et voilà qu' on me pousse dans ce fameux Block 10 des expériences dites « médicales » . J' y découvre des femmes aux yeux éteints , aux regards muets et désespérés , comme si elles avaient peur de laisser échapper une parole , comme si elles n' avaient plus rencontré depuis longtemps des gens « normaux » !

À demi-mot , pourtant , elles essaient de nous faire comprendre où nous nous trouvons .

Et j' ai eu soudain le sentiment d' être tombée dans un piège plus dangereux encore que celui de mon arrestation , lorsque deux policiers m' avaient saisie dans leurs pattes en me lançant , avec un sourire sadique et victorieux : « C' est fini ! »

Les SS avaient besoin de cinquante-cinq femmes pour le Block 10 , le Block des expériences

J' avais décidé d' emblée que pour moi , c' était terminé , je ne voulais pas livrer mon corps aux expériences , aux Allemands , parce que j' avais fait mon devoir de résistante et j' avais été déportée comme résistante

Je ne voulais donc pas me soumettre aux expériences , mais une camarade m' a dit : « Eva , pourquoi tu te dépêches , ce n' est pas la peine , on a le temps de mourir , attendons . »

C' est avec elle que je me suis approchée de cet interné – c' étaient aussi les internés qui tatouaient les numéros – car les Allemands avaient à la fois la duplicité extraordinaire de tenir le secret jusqu' à la chambre à gaz – les gens ne savaient pas qu' ils allaient à la mort – , et de se faire aider par les internés eux-mêmes , pour persécuter les gens . Et pendant que cet homme , Tadeusz , était en train de me tatouer le bras avec une aiguille , j' étais si en colère contre tout que je lui ai dit : « Katouf … » ( « Ils élèvent des bourreaux » ) ( le bourreau , en polonais , se dit « kat » ) , parce qu' il travaillait pour les SS . Et lui , sans me regarder , sans élever la voix , me répondit : « Della chèbiè » ( « Pour eux » ) : c'est-à-dire des bourreaux pour eux-mêmes . Alors je me suis dit : « Dans ce cas , tout n' est pas perdu . » Cela voulait dire que dehors il y avait encore des gens qui , comme moi , voulaient résister . ( Et la preuve , c' est que les nazis ont été vaincus , et que le commandant Hoess

Tous savaient que nous n' avions ni crayon ni papier , mais les camarades l' ont gardé en mémoire jusqu' à la Libération et ce fut publié dans différents journaux . J' ai composé mon premier petit poème dans ma tête , au camp , le premier soir , là où les bourreaux SS m' avaient mise après la descente du train :

C haque nuit je vois mon enfant dans le rêve

En pleurant vers moi son regard clair se lève

Il réprime un reproche dans sa douce voix

Et tend , grands ouverts , ses deux petits bras

J' ouvre les yeux un instant , les referme bien vite

Cette triste existence , la vie réelle me quitte

Une immense chaleur mon cœur envahit

Je m' entends murmurer : « Je reviendrai , mon petit . »

Auschwitz , 2 août 1943

Et je me dis que c' est grâce à lui , à mon Jeannot , que je suis revenue

Comment Fanny Zelinski , si pleine de vitalité , peut-être avec l' aide d' Irène – qui était arrivée là par un transport antérieur – , comment ont -elles trouvé une aiguille ? un bout de fil ?

Fanny m' a cousu une petite robe à l' aide de chiffons , de foulards , avec son doux sourire , elle m' a dit : « Je sais , Eva , tu n' aimes pas coudre , alors chante -nous quelque chose . »

La bonne Gitele Barszczewski me força quasiment à prendre un morceau de pain prélevé sur sa maigre ration .

Bientôt nous avons appris que la doctoresse Dora Klein ( Kleinman

Tout cela , naturellement , dans le plus grand secret .

Au Block 10 , nous étions onze

Le choc a été terrible de nous retrouver dans cette atmosphère de terreur , de maladie , de démence . Nous pensions notre dernière heure arrivée .

Je me suis crue dans un asile de fous ! J' ai vécu ces premiers jours dans un état d' hébétude . Puis je me suis reprise et , avec plusieurs autres , nous avons décidé de ne pas nous laisser mutiler , de résister .

Après la terrible humiliation ( coupe de cheveux , habits de bagnards , etc . ) , nous nous encouragions les unes les autres . Les fenêtres étaient obturées par des planches . Mais nous avions réussi , en grattant un coin , à entrevoir ce qui se passait . Elles donnaient sur le mur d' exécution du Block 11 , le bunker d' où l' on entendait les coups de fusil , les cris lancés par une victime avant de mourir . « Vive la Pologne . » « Vive Staline . » Dans le Block 10 , des centaines de femmes , toutes juives mais parlant des langues différentes , erraient nues , sous des couvertures , le regard affolé .

Il nous fallait tout d'abord secourir celles d' entre nous dont le moral était au plus bas . Chacune avait laissé un enfant quelque part en France et il nous était difficile de ne pas être ébranlées . Peu à peu nous nous sommes ressaisies .

Le fait que notre camarade , le Dr Lorska ( Slawka ) , ait reconnu au tout premier moment un ancien des Brigades internationales ayant combattu le franquisme en Espagne , Rudi Göbel , nous a beaucoup aidées . Cela nous a permis de nouer le contact avec la Résistance , dans ce terrible camp de la mort , et notre décision de continuer le combat s' est renforcée .

Dora Klein ( les prénoms pouvaient être différents selon la langue ) , également ancienne d' Espagne , désignée pour s' occuper des femmes de ce Block qui fonctionnait dans des conditions spéciales , eut la présence d' esprit d' exiger des assistantes et elle prit avec elle Perelka Guterman

Slawka put obtenir la fonction de médecin du Block et Perelka et Dédée , celle d' assistantes .

Quelque temps plus tard , avec l' aide du Dr K. Lewin , Slawka a créé un commando appelé « Spuck Kommando » ( « commando du crachat » : pseudo expériences sur la salive ) . Ainsi , ils ont porté sur la liste de ce soi-disant commando le plus grand nombre de femmes possible , pour leur éviter les expériences de stérilisation .

À Auschwitz , il y avait le Kampfgruppe , « groupe de combat » du camp qui regroupait des communistes , des socialistes , des Soviétiques , des Polonais , des antifascistes allemands et autrichiens et des anciens des Brigades internationales d' Espagne .

Dans notre Block 10 , nous avions un régime un peu plus léger que celui des autres prisonniers , un peu meilleur qu' à Birkenau , car nous étions destinées aux expériences . Nous étions trois cents peut- être . Dans la journée , les médecins SS prélevaient du sang , procédaient à des opérations , se livraient à toutes leurs actions . Dans ce Block , j' ai connu des petites jeunes filles grecques ; elles étaient arrivées avant nous . – C' est un chapitre trop douloureux ! – Parmi la population juive de Salonique , les Allemands se sont servi des rabbins en les obligeant à marier les fiancés qui voulaient rester ensemble pour partir . Mais ils n' avaient jamais eu de relations sexuelles , parce que ce n' était pas possible dans ce milieu avant le mariage . Et ces rabbins étaient considérés comme des criminels parce qu' ils s' étaient pliés aux ordres des Allemands . Tous ne savaient pas précisément ce qui se passait , mais se doutaient que le seul but n' était pas de les marier . Ces rabbins « zobn oupchassene gemacht » , ont marié de nombreux jeunes gens , et ils ont été déportés .

Les petites Grecques avaient entre 15 et 18 ans . On les a tellement massacrées , déchiquetées ! Pour leurs « recherches » , les médecins SS avaient besoin de femmes mariées , qui avaient vécu , qui avaient eu une vie sexuelle , je ne sais pas , et quand nous sommes arrivées dans ce Block , ces pauvres jeunes filles avaient déjà subi des expériences , on leur avait déjà ouvert le ventre , on leur avait brûlé les ovaires à l' électricité

Nous dépendions d' un certain médecin , interné juif qui était aux ordres des Allemands . Il avait le droit de s' attribuer des femmes … c' était son matériel . Il fallait nous faire souffrir car c' étaient des sadiques !

Dans ce Block , nous avions des koyas ( « chalits » ) avec draps , des conditions un peu meilleures . Nous n' étions pas dehors pour l' appel , mais dans une sorte de couloir , donc c' était moins difficile , surtout en hiver . Nous n' étions pas épuisées par des travaux forcés , ni battues , comme dans les autres Kommandos .

Dans la journée , il y avait les différents médecins , les différentes opérations , les distributions de soupe , etc . Le soir , l' Allemande , l ' Aufseherin ( « la surveillante » ) , partait et fermait notre Block à clé jusqu' au matin . Là , on avait la possibilité de mener nos affaires .

Irène Fein-Mercier

Si j' étais toute petite

Je pourrais appeler Maman

Viens près de moi , viens bien vite

Berce -moi doucement

Si j' étais toute petite

Je crierais de douleur

Maman !

Souvent , nous nous sommes blotties dans notre coin du Block , pensant que peut-être nos enfants retrouveraient leurs mamans .

Les fenêtres de notre Block 10 étaient obturées par des caisses et nous étions en permanence dans l' obscurité . Un interné était intervenu auprès des SS , leur avait fourni des arguments crédibles : nous devions servir pour les expériences , ce serait bien de nous accorder d' aller parfois en promenade , de prendre un peu l' air frais . Cela avait marché . Un autre détenu allemand sudète , Karl Lill

Une fois , je marchais avec Rose Besserman je crois , et sur le chemin , nous avons vu une colonne d' enfants âgés de 10 à 12 ans , vêtus de haillons , aux visages émaciés , tristes , résignés . Ils se tiennent par deux et regardent fixement devant eux ; de petits enfants qui allaient , se tenant par la main

Une autre fois , avec le kroyter , nous nous trouvions dans une petite clairière , une femme était avec nous , certainement très malheureuse . Il y avait ce ruisseau ( la Sola ) et je ne sais pas ce qu' elle avait en tête , rien de bon en tout cas ; elle était peut-être désespérée , elle s' est jetée dedans , elle voulait traverser et pensait se sauver ainsi ; naturellement on l' a repêchée , et quand tout le monde est arrivé devant le Block , on nous a sermonnées .

Avec nous , il y avait une fille grecque , Katia , qui connaissait plusieurs langues , elle était Dolmetcherin ( « interprète » ) ; elle nous traduisait tout ce que les Allemands disaient . Donc , nous attendions devant notre Block , pour l' appel , avec cette Katia , qui nous a souvent sauvé la vie . Par exemple , elle devait nous appeler par nos numéros . Nous essayions de nous dérober aux expériences , les premières appelées ne répondaient pas , se tenaient loin d' elle . Elle connaissait mon numéro , elle n' était pas obligée de le savoir … elle criait fort , elle cherchait partout , et elle ne trouvait pas ! Et nous , on ne répondait pas . Personne dans le Block ne nous a dénoncées . Nous l' avons bien récompensée après . Elle était encore à Paris après la Libération , je ne sais pas ce qu' elle est devenue depuis .

Ce Kommando de femmes du Block 10 ramassait des herbes pouvant servir à différentes « études » pour les SS , peu enclins à aller sur le front de l' Est

Notre groupe a essayé , par tous les moyens ( nous en avions peu : chants , parodies , satires , etc . ) , de lutter contre la résignation , de donner des nouvelles qui commençaient à être encourageantes après la bataille de Stalingrad

Je composais des poèmes , des chansons , pour soutenir le moral de mes compagnes , chansons pleines d' espoir et de force . Nous résistions ensemble contre une Kapo inhumaine , et donnions ainsi aux autres victimes de ces expériences criminelles l' exemple du courage .

C' est par un chant que j' ai engagé le terrible combat à la vie à la mort dans le camp d' Auschwitz , lorsque j' ai décidé de continuer malgré tout

Chantons ensemble , camarades ,

Chantons ensemble nos chansons ,

Chanter ensemble rend nos âmes

Pleines de rêves , de passions ,

L' esprit s' évade vers l' horizon

Chantons ,

Chantons ensemble avec courage

Chantons , nos voix résonnent dans la nuit ,

Chantons ,

Bientôt prend fin notre esclavage

Nos frères s' avancent ,

Ils vaincront nos ennemis .

Les femmes de mon Block étaient ahuries de nous entendre chanter . Avec Rivka Grynberg , Gina Goldstein , encouragées et inspirées par toutes les camarades venues de France , nous avons commencé à nous remémorer toutes les chansons , folkloriques et autres , que nous chantions avant la guerre .

Nous sommes devenues la « colonie française » , surnom que nous avaient donné les autres femmes du Block , car elles s' étaient rendu compte très vite que nous étions arrivées ici avec un esprit qui manquait aux autres , l' esprit de résistance . C' est auprès de nous qu' elles venaient puiser courage et endurance .

Lorsque les femmes étaient déprimées par les rumeurs de sélection , de transfert à Birkenau et autres camps , lorsqu' il leur était difficile de contenir leurs larmes dues à la faim , aux violences , à la douleur et au désespoir , elles priaient la « colonie française » de leur chanter quelque chose .

Et lorsque notre répertoire se faisait pauvre , nous inventions de nouvelles chansons . J' ai réussi , sur une musique populaire , à composer des paroles qui exprimaient nos sentiments et qu' elles reprenaient avec nous , avec un évident plaisir . Nous décidâmes d' élargir notre activité artistique .

Toutes , nous avions laissé nos enfants en France et ne savions pas ce qu' il advenait d' eux . Les reverrions -nous un jour , même si nous parvenions à sortir de cet enfer ? Les femmes savaient que Rivka Grynberg avait deux enfants , elles sentaient l' angoisse dans sa voix , mais elles voyaient aussi notre exemple , comprenant qu' il fallait supporter , ne pas se rendre , que la solidarité de toutes était nécessaire pour que les enfants retrouvent un jour leurs mères . Ainsi , nous chantions , encore et encore , chaque fois que nous pouvions voler un moment aux assassins .

Nous avons réagi aux brutalités des Kapos en leur imposant , dans la mesure de nos moyens , une relative modération dans leur attitude de soumission à la force aveugle des SS .

Nous étions arrivées le 2 août 1943 dans ce Block 10 , nous y sommes restées dix mois , jusqu' au mois de juin 1944 , lorsqu' il ne fut plus possible d' échapper aux expériences graves . Jusque-là j' avais été parmi les « privilégiées » , on me faisait essentiellement des prises de sang . Pour nous soustraire à l' ablation des ovaires , mes amies et moi avons « préféré » le transport vers Birkenau . Les femmes du Block 10 étaient remplacées régulièrement par la direction du camp . Grâce à des complicités masculines , mon groupe de résistantes fut transféré d' Auschwitz à Birkenau , au Block 27 . C' était la toute dernière baraque juste en face du crématoire où étaient alors gazés des milliers de Juifs hongrois . Je les ai vus aller vers la chambre à gaz

Le soir , je voyais s' échapper les flammes et des jets de fumée des cheminées . Je me suis dit : « C' est l' enfer , mais ce n' est pas la fin du monde . Quelques-uns survivront et raconteront . »

Les camarades du laboratoire , Slawka , Dédée ( Hadassa ) et Perelka , sont restées au Block 10 .

Le cœur s' était endurci au cours des dix mois passés au camp . Il n' en fallait pas moins une bonne dose d' endurance et , surtout , de conscience politique . Il fallait nous tenir ensemble et rester en liaison avec l' organisation de Résistance pour ne pas nous effondrer .

« Il faut s' organiser pour survivre , témoigner , et se venger un jour . »

À son arrivée à Birkenau , notre groupe était attendu par Masha Ravine-Speter , représentant les résistants clandestins dans le camp .

Chacune de nous devait affronter une autre façon de lutter pour survivre .

Tout était beaucoup plus terrible .

Nous avons appris qu' il y avait un comité très secret , composé de gens de différentes nationalités . Parmi les dirigeants , je connaissais des camarades de chez nous , de Paris , le chef était justement un Polonais , Cyrankiewicz

L' antisémitisme dans le camp existait , parce que les Allemands avaient intérêt à ce que tout le monde s' entretue , et dans les Kommandos , quand un Polonais devait diriger les Juifs , les Juifs passaient un mauvais quart d' heure ; moi j' avais affaire à une Blockälteste

À Birkenau , après avoir été opérée d' une mastoïdite , une amie de notre groupe était devenue complètement sourde et elle était très perturbée ; les « copines » m' avaient demandé de dire à la Block älteste qu' elle n' envoie pas cette Paulette au Kommando , qu' elle la laisse dans le Block . On disait que la famille de la Blockälteste était entrée dans la chambre à gaz et qu' elle se vengeait sur les autres . Je suis allée la trouver , j' étais sur le pas de cette porte , elles avaient une espèce de cagibi , des conditions un peu meilleures que les nôtres , tout le monde était déjà aligné , je devais aller au Zeilappell ( « l' appel » ) , et je venais intervenir pour Paulette . Elle ne savait pas encore ce que je voulais , pourquoi j' étais là , immédiatement elle s' est mise à me taper dessus , puis elle m' a envoyée au Zeilappell . Bien sûr , plus question qu' elle laisse notre amie dans le Block . Elle m' a tapée , tapée , je suis allée m' aligner dans le Block déjà en rangs et elle continuait à me frapper . Gitele Wajsbrot , une camarade de mon groupe , voyant avec quelle violence elle me frappait , s' est mise à crier : « Ne la frappez pas , vous n' avez pas le droit ! » J' en ris encore aujourd'hui . Dans ce camp , parler de droit ! Mais ce fut spontané , elle voyait qu' on me frappait , que j' étais là , sans réaction , et elle a crié . La B lockowa , de plus en plus furieuse , nous a toutes fait mettre à genoux , et a couru appeler la chef générale du camp .

C' était une grosse femme , je la revois toujours … la Blockälteste avait cru que cette femme viendrait et nous mettrait toutes dans le bunker ; Gina et moi avons pensé : « Oh ! là , là ! Q ue va -t-il nous arriver ? » Mais , dans mon for intérieur , je me suis dit « Quel courage , quel héroïsme , cette Gina , instinctivement , elle s' est levée . » Et que s' est -il passé ? Non seulement elle ne nous a pas envoyées dans le bunker – peut-être était -elle impressionnée d' avoir vu une camarade prendre la défense d' une autre , ce qui était strictement défendu dans le camp , ou peut-être commençait -elle à avoir peur – , mais elle a dit à la Blockälteste : « Allez , arrête l' appel , que tout le monde retourne au travail . »

Ce petit épisode montre que , malgré le danger , on pouvait être courageux même à Birkenau .

À Birkenau , avec Ala Sablik , nous chantions . Voici ce qu' elle m' a raconté . Avant , elle avait été déportée très jeune , à Majdanek . Une fois , elle a été choisie pour le travail , elle devait prendre une brouette ( « britchka » en polonais ) , et porter des pierres quelque part , mais Ala était petite , elle avait des bras très courts et ne pouvait absolument pas attraper les deux poignées à la fois . La Kapo qui l' avait amenée ne voulait rien savoir . Il fallait qu' elle mène la brouette , même si cela lui était impossible . Elle devait le faire … Elle l' a battue , et Ala pleurait . Elle avait une cousine dans le même Kommando qui a voulu lui venir en aide , alors elle aussi a été frappée , ce fut terrible .

Par une sorte de « miracle » mes amies et moi avons été transférées au R evier

Au Revier , où je ne suis restée que quelques jours , la doctoresse Stefane Schramek

À Birkenau , au sein du Außenkommando , ( « commando extérieur » ) , les déportés fournissaient un travail extrêmement pénible . Nous devions marcher pieds nus sur les cailloux . Les surveillants étaient sadiques . Le matin , nous partions travailler à l' extérieur . L' un de nos camarades , Shiè , m' apporta un jour une paire de chaussures toutes neuves , magnifiques à mes yeux ! Une Aufseherin ( « surveillante » ) voulut absolument me les arracher pour les récupérer , et se mit à me poursuivre et à me battre . Ma camarade Gitele Barszczewski les fourra en cachette dans la poche avant de son fakhter ( « tablier » ) noué derrière comme nous en portions alors . Qui eût pu soupçonner cette camarade si timide , si effacée ? Ces chaussures m' ont peut-être sauvé la vie

Parmi les faits extraordinaires , il faut citer l' évasion réussie de Shimek Zajdov , avec l' aide de Shiè et d' autres camarades . Il passa cinq jours dans un trou . Plus tard , rentré à Paris , Shimek ne voulut jamais raconter publiquement son histoire . Je l' ai toujours déploré , car très peu de gens ont pu réussir à s' évader du camp

Parmi nos martyrs d' Auschwitz , j' ai une pensée particulière pour la jeune Juive belge d' Anvers , l' héroïque Mala Zimetbaum

La B lockowa , une jeune Juive tchèque , nous avait annoncé que nous « tiendrions quatre semaines si nous travaillions bien . Ensuite … voyez ce qui vous attend » , avait -elle dit en désignant , d' un geste large avec une grimace démoniaque , la cheminée du crématoire .

Quelques baraques plus loin , il y avait un groupe de résistantes juives de Belgique . Elles avaient bien connu mon frère Moshke Rozencwajg , résistant à Bruxelles , fusillé par les nazis à l' âge de 23 ans . C' est d'ailleurs par elles que j' avais appris la triste nouvelle .

Chaque fois que cela était possible , je me faufilais dans leur Block , m' informant du sort de proches ou d' amis . C' est ainsi que je fis la connaissance de Mala Zimetbaum .

Mala m' apparut comme un être simple et généreux .

Je sus plus tard que je lui devais beaucoup d' être restée en vie . Ayant été désignée comme « courrier » pour transporter des informations d' un service à l' autre , elle avait , par cette fonction , la possibilité de faire affecter une personne malade ou faible à un travail plus supportable ou à un Kapo moins sadique . Elle le faisait de façon réfléchie mais , plus d' une fois , elle mit ses jours en danger en cherchant à sauver quelqu'un .

Tout le monde au camp l' aimait , et même les Kapos , les chefs de Block et leurs adjoints la respectaient .

Grâce à elle , j' ai évité des coups , la veille de son évasion de Birkenau .

C' était le 23 juin 1944 . Épuisées , nous revenions du travail à l' extérieur du camp . Toute la journée , il nous fallait transporter des pierres . La chaleur était insupportable . Nos pieds traînaient péniblement sur la chaussée poussiéreuse . Nos lèvres étaient desséchées .

Le passage du portail d' entrée au camp se faisait dans une bousculade inouïe . Les SS aboyaient aussi fort que leurs chiens . Les Kapos des groupes hurlaient « Links ! Links ! » ( « Gauche ! Gauche ! » ) . Ici et là , un gourdin s' abattait sur une tête . Et , pour accroître notre détresse et engourdir nos esprits , l' orchestre du camp ( des détenus ) devait jouer une marche joyeuse .

À peine à l' intérieur du camp , chacun devait courir à son Block et se présenter à l' appel .

J' eus une forte envie de m' humecter les lèvres , de me laver un peu le visage , les mains . Je courus vers ce qu' on appelait « la salle d' eau » où de rares gouttes s' écoulaient des robinets . Quand je revins à mon Block , toutes étaient déjà alignées . La B lockowa s' est élancée dans ma direction , dans un mouvement de fureur sauvage , s' apprêtant à se jeter sur moi comme une bête sur sa proie . Mais Mala a surgi . Elle s' est placée près de moi à l' alignement . Et là , la B lockowa s' immobilisa soudain , le poing levé , sans osé l' abattre sur ma tête .

« Mala , lui dis -je à voix basse , tu es arrivée à point , tel un ange descendu du ciel gris de Birkenau . » Et elle , comme si elle voulait prendre congé , me serre fortement et discrètement la main . « Je suis très nerveuse aujourd'hui » , me confie -t-elle dans un murmure .

Je ne puis l' interroger davantage . Je contemple avec étonnement ses traits délicats . « Reste en bonne santé , Mala » , lui dis -je en la quittant .

Le lendemain , le camp des femmes et celui des hommes vont subir un interminable appel après que les sirènes se sont mises à mugir : deux déportés se sont enfuis , le numéro 19880 , en compagnie d' un ami polonais , Eduard ( Edek ) Galinski , Polonais catholique , venu par le premier transport à Auschwitz et portant le numéro 531 .

Dans le camp , la joie est immense . Mala est libre ! Mala va alerter le monde . Elle fera tout pour que l' on ne permette pas notre extermination !

Malheureusement , la chance ne devait pas sourire à notre chère Mala

On nous parla des terribles tortures qu' on leur faisait subir dans le bunker

Les SS dressèrent une potence . Par une exécution publique , ils voulaient accroître la terreur qui régnait dans le camp . Mais par leur comportement héroïque dans la vie et devant la mort , Mala et Edek devinrent pour nous un exemple de courage et de résistance .

Avec l' aide de ses camarades , Mala était entrée en possession d' une lame de rasoir . Quand elle fut conduite sous la potence , elle se coupa les veines . Quand le SS Taube se jeta sur elle , elle le gifla de sa main ensanglantée . Aux femmes rassemblées Mala eut encore la force de crier : « Courage ! Ils paieront pour tout ! »

Les bourreaux avaient échoué dans leur mise en scène . Mala mourut alors qu' on la portait au crématoire

C' est ainsi que Mala Zimetbaum , la jeune Juive d' Anvers , écrivit de son sang une page inoubliable de résistance face aux bourreaux nazis .

Heureusement , nous ne sommes pas restés longtemps après la mort de Mala , dans ce Block 27 . Grâce à l' aide des camarades Shiè et Shimek , ce fut pour moi le transfert au camp de Rajsko

Là , les conditions me semblaient exceptionnelles . Je ne sentais plus l' odeur des crématoires . Pas d' appel dans la neige par moins trente degrés ! Pas de barbelés ! Il y avait même des douches ; on pouvait ramasser de l' herbe et des carottes pour les manger et , parfois , on avait quelques contacts avec des Français .

C' est là que j' ai connu Marie-Élisa Cohen Nordmann , qui a survécu grâce à ses camarades , dans un petit groupe de femmes soudées les unes aux autres , se donnant le bras pour marcher , se frictionnant le dos et se parlant … Marie-Élisa , chimiste , a réussi , grâce à une autre Française , Claudette Bloch , à se faire affecter , avec dix-sept de ses camarades du convoi du 24 janvier 1943

Eugène Garnier , qui faisait partie du Comité international de la Résistance , avait pu se faire embaucher comme jardinier . Il apportait des bouts de journaux volés aux SS et « quelque chose » : un tricot , des sous-vêtements , courant un risque mortel pour lui

Gerda Scheinder , chef de Block , était une communiste allemande qui , avec une Polonaise metteur en scène , Wanda Jakubowska , aidait les Françaises . Il y avait là aussi Charlotte Delbo , qui avait été la secrétaire de Louis Jouvet . Pour le « moral » du groupe , elle racontait de mémoire des livres , des pièces de théâtre , des poèmes . Certaines étudiaient l' anglais ou le russe avec des femmes qui avaient fait partie de l' Armée rouge . Une conviction les animait : à coup sûr , l' avenir serait lumineux et l' heure de la justice viendrait sur notre terre !

Un nouveau chapitre de la Résistance au sein de l' organisation clandestine s' ouvrit au mois de juin 1944 . Une partie de ce groupe de résistantes est restée à Birkenau jusqu' à sa libération par l' Armée rouge .

Le soir de Noël 1944 , quelqu'un entonna L' Internationale . Le chant fut repris dans toutes les langues . Puis Auschwitz et ses annexes sans doute ( Birkenau , Buna-Monowitz , Rajsko , Budi , Gleiwitz , Blechhammer , Althammer , Sosnowitz , etc . ) résonnèrent aux accords de la Warszavianka ( « La Varsovienne » ) , vieux chant révolutionnaire polonais du Roter Front allemand ( « Front rouge » ) , et de la Marseillaise . On savait que la fin approchait . Le Kampfgruppe avait projeté une évasion en masse .

Mais les 17-18 janvier 1945 s' opère l' évacuation d' Auschwitz et des camps qui en dépendent en raison de l' approche des troupes soviétiques . Commence alors la « marche de la mort » .

Les SS chassent les déportés sur les routes : ils veulent détruire les crématoires , les bâtiments administratifs , les Blocks . Dans la neige de l' hiver polonais , des colonnes de squelettes parcourent des kilomètres à pied … Ceux qui n' avancent pas assez vite sont abattus d' une balle dans la nuque . Je vois des colonnes de déportés passer devant Rajsko . Avec une amie russe , Klawa , nous décidons de nous cacher dans un silo de pommes de terre . Mais la porte était fermée . Nous sommes alors poussées nous aussi sur la route . Des femmes aux pieds gelés , aux jambes enflées , tombent et ne se relèvent plus . Je porte les gros godillots qu' on m' a donnés . Ma tête est enroulée d' une serviette-éponge .

Je me force à avancer en pensant à mon fils : « Il faut que je le revoie , après je pourrai mourir . »

Nous marchons . Trois jours . Trois nuits . À Gleiwitz

Pour ma part , j' ai dû me traîner longtemps encore , la mort à mes côtés . Mais dans les moments les plus atroces , dans la tourmente de neige , du vent glacial , pendant « la marche de la mort » , avec la crainte à chaque instant de tomber sans pouvoir se relever , nous parvenait cette rumeur parcourant nos rangs et devenue la formidable nouvelle : Auschwitz est libéré !

Ces milliers de victimes , épuisées , à bout de souffle , murmuraient avec leurs dernières forces : les nazis sont vaincus .

Les portes du camp d' Auschwitz ont été ouvertes par les soldats de l' Armée rouge le 27 janvier 1945 .

Puis on nous fait encore marcher vers un petit camp , Malchof

Enfin , en février 1945 arriva un convoi de la Croix-Rouge internationale pour le groupe des résistantes françaises tatouées à Auschwitz envoyées à Ravensbrück . Mais je n' étais pas parmi les « élues » . Je survivais en mangeant des racines , et même de la terre .

Le 1 er mai , les SS nous lancèrent de nouveau sur les routes . Je partis avec Orli et Klawa , la jeune Soviétique . Il y avait des combats partout : les femmes se cachaient dans les fossés au bord du chemin et se consultaient : que faire ? Toutes trois , Orli , l' Allemande , Klawa , la Soviétique et moi , nous nous sommes cachées au fond d' un ravin , sous une couverture . Mais moi , qui ne peux aujourd'hui encore rester longtemps en place , je sors la tête de sous la couverture , et je vois les jambes d' un cheval ! Un cavalier russe nous regarde : c' est l' Armée rouge . Nous nous sentons d'abord freilekh ( « joyeuses » ) ; je dis à Klawa : « Parle -lui , toi . » Court moment de fraternité … Ensuite , nous sommes parties toutes les trois et avons trouvé une maison abandonnée : dans la cave , des victuailles pour tenir au moins une année ! Nous avons pu nous laver , trouver du linge propre .

L' armée stationnait là , ils buvaient de la vodka , mangeaient , chantaient , ils continuaient leur route , ils devaient aller vers Berlin

Moi , je voulais rentrer , être rapatriée en France ! J' ai dit adieu à Klawa et Orli et suis sortie . Je l' ai bien regretté , car il y avait une pagaille terrible , et je me suis égarée ! J' ai marché , puis j' ai croisé une sorte de charrette « a vogn » avec des Français ! Ils m' ont emmenée jusqu' à l' aérodrome , car on commençait à organiser les retours . Mais ils envoyaient d'abord les prisonniers , les déportés venaient après

Je me suis jointe à trois Français . J' étais cachée dans la charrette qu' ils avaient trouvée . C' était dangereux pour eux d' être avec une femme … Dans une gare , j' ai retrouvé d' autres femmes . J' ai pu monter dans un train .

Après bien de nouveaux épisodes , je débarque à Paris , gare de l' Est , le 28 mai 1945 .

Un homme s' approche de moi et me demande si je suis juive afin de me conduire à l' hôtel Lutetia , où l' on procède aux formalités d' identité . Sa question ne me plaît pas , je me dérobe et je décide de rentrer directement « chez moi » . Et j' y découvre mon mari qui , rentré à Paris le 17 mai 1945 , m' avait attendue depuis onze jours et onze nuits , courant partout entre le Lutetia où passaient normalement tous les déportés rapatriés , et notre appartement .

Nous n' avions rien , on nous donnait des affaires . Beaucoup de déportés étaient vraiment dans un état misérable , moi , j' étais à peu près en bonne santé . Un peu plus tard , je me rends malgré tout au Lutetia . Je regarde la robe que j' ai reçue , et je vois qu' elle ne me va pas . Je demande : « Vous ne pouvez pas me la changer ? » et l' employée me lance : « Vous étiez mieux à Auschwitz ? Vous aviez une plus belle robe ? » Elle ne me connaissait pas , il a fallu qu' elle tombe sur moi ! Alors au milieu de tout l' hôtel , de tous les déportés , de tout le monde , je me suis mise à crier , j' ai hurlé : « Vous vous croyez encore en 1943 , là ? » Elle a pris peur . Les chefs m' ont calmée … j' ai laissé tomber , je suis partie .

Cela a marqué le début de ma « révolte » .

Chaïm/Charles Goldgewicht , mon mari , engagé volontaire en 1939 dans l' armée française pour la durée de la guerre , fait prisonnier en 1940 , fut donc envoyé dans un camp de soldats ( Stalag ) , à Hohenfels , où il s' est livré à des actes de sabotage avec d' autres camarades . Charles fut témoin de l' assassinat de Berl Kirsner

Gitla/Guta , ma sœur cadette de la branche de Bruxelles , fut agent de liaison pendant toute la durée de l' Occupation , membre de l' Armée belge des Partisans ( ABP ) , transportant littérature antinazie , armes et explosifs .

Adolphe Goldgewicht , son mari ( il portait le même nom , mais il s' agissait d' une autre famille que celle de mon mari ) , était combattant volontaire dans les Brigades internationales en Espagne et fut remarqué pour son courage et son intelligence . Il était officier supérieur .

À Bruxelles , il fut parmi les premiers partisans contre l' occupant . Arrêté , cruellement torturé , il a été déporté et finit par échouer à Neuengamme . Quand les soldats américains pénétrèrent dans le camp , ils découvrirent un spectacle d' horreur : des morts et des agonisants . Péniblement , Adolphe a fait un effort pour qu' on le voie . Sans avoir reçu de soins , il fut rapatrié à Bruxelles où il mourut peu après .

Abraham/Albert fut un partisan courageux . Il participa à de nombreuses actions en Belgique . La dernière fut peut-être unique en son genre .

Dans la nuit du 19 au 20 avril 1943 , il attaqua avec un groupe de camarades les soldats qui escortaient un train de Juifs , le convoi n° 20 , qui partait de Malines ( l' équivalent de Drancy en Belgique ) .

Après avoir arrêté le train , ils libérèrent les prisonniers et leur donnèrent un billet de 50 francs pour faciliter leur fuite . Trois cents Juifs furent sauvés , et dix-huit autres tués sur place par les Allemands . Albert fut arrêté par la suite et déporté dans un camp de travail . Heureusement , il en revint .

Moshke/Maurice , le cadet de la famille , était né à Lodz le 2 octobre 1920 . Il avait émigré à Bruxelles en 1932 , travaillé dans la maroquinerie et milité dans le milieu communiste juif comme notre frère Albert et notre sœur Guta , résistants et partisans armés . Sous l' Occupation , Maurice retrouva ses camarades du club sportif Einheit ( « Unité » ) dans le groupe juif de la Jeune garde socialiste unifiée . À 13 ans , il participait déjà à la vie sociale des jeunes . Il voulait combattre « les armes à la main » mais la direction n' était pas d'accord . Après de multiples démarches et vu sa résolution , l' autorisation lui fut cependant accordée . En 1942 , il rejoignit les Partisans , intégrant le Corps mobile de la compagnie juive constituée d' anciens de la section yiddish de la MOI liée au Parti communiste . C' est en compagnie de trois autres partisans , dont Wolf Weichmann et Mordko Bresler , qu' il incendia , le 25 juillet 1942 , le fichier conçu sur ordre des nazis par l' Association des Juifs en Belgique ( AJB ) , qui devait grandement faciliter la déportation de la population juive . Après plusieurs actions d' envergure , Maurice fut arrêté le 16 février 1943 avec deux autres partisans , Potashnik et Wajcman , incarcéré à la prison Saint-Gilles pendant sept mois et torturé . Il fut condamné avec ses camarades à dix ans de travaux forcés . Le jugement fut cassé le 17 août et , le 31 août , le tribunal mili taire les condamnait tous les trois à la mort . Ils furent fusillés le 9 septembre 1943 au Tir national

Pour mes parents , le premier coup terrible fut l' arrestation de Moshke , si jeune ! Guta et Albert leur avaient caché qu' il avait été fusillé .

À la Libération , Guta installa nos parents à Bruxelles , au 191 de l' avenue des Volontaires , dans un appartement mis à leur disposition par des amis de la Résistance , puis elle décida d' aller chercher Jeannot . Mon enfant . Jean , mon fils aîné , né en mai 1937 , avait 6 ans lorsque je fus arrêtée . Il avait pu être confié à des paysans grâce aux camarades de l ' UJRE . Pour ma sœur , il semblait primordial de ramener cet enfant chez nos parents . Jean a ainsi vécu deux ans avec ses grands-parents maternels à Bruxelles , de 1945 à 1947 . Libérée en mai 1945 , je ne le retrouverais définitivement qu' à l' été 1947 .

Il était difficile , au printemps 1945 , d' arriver de Belgique en France . Il n' y avait pas de train pour les civils .

Guta est arrivée en stop , entre autres dans un camion de charbon . Elle savaittrouver Alfred Grant ( Simon Cukier ) , l' un des dirigeants de la Résistance , directeur de la clinique populaire et secrétaire de l' Union des Sociétés juives de France . Il lui donna une lettre au nom de la Résistance pour la famille où se trouvait Jeannot , précisant qu' elle était la sœur de sa maman .

Guta se rendit à l' adresse indiquée , une maison à la campagne . La porte était ouverte , elle est entrée et a vu mon Jeannot en train de s' habiller , debout sur un tabouret près du poêle , un enfant blond , pâle et triste .

Guta raconte : « Il a l' air d' un petit oiseau perdu ! Je le prends et le serre de toutes mes forces contre moi . L' enfant fond dans mes bras . Nous devenons un seul être .

« Je sens que jamais je ne le lâcherai , qu' aucune force au monde ne pourra plus l' arracher de moi , et je sais que ce petit enfant , le seul petit-fils de mon père et de ma mère , les aidera à vivre , surtout quand ils apprendront la terrible nouvelle .

« J' ai donc Jeannot dans mes bras . Je me dois de le reprendre . »

Guta s' était présentée comme la sœur de sa mère désirant voir son neveu . On lui permit de passer la nuit sur place .

Le lendemain , ma sœur annonça qu' elle était venue le chercher pour l' emmener chez mes parents à Bruxelles .

La famille ne voulait pas laisser partir cet enfant : d' une part ils s' étaient attachés à lui , d' autre part ils craignaient l' incompréhension de ses parents , si ceux -ci venaient un jour le rechercher . Tous se taisaient dans une attente inquiète . Alors , la femme lui dit : « On va demander à Jeannot s' il veut rester ici ou s' il veut aller avec vous . » Et Jeannot , alors âgé de 7 ans , vint vers ma sœur et lui dit : « Je ne te reconnais pas , mais je sens que je dois aller avec toi . »

Guta montra alors la lettre qui l' autorisait à prendre l' enfant de sa sœur et ils partirent .

Ils arrivèrent à Paris de nuit . Elle aperçut un train de la Croix-Rouge en partance pour Bruxelles avec des soldats blessés . Elle y monta , trouva de la place sur une banquette . Jeannot s' allongea , la tête sur ses genoux , et s' endormit .

Le matin , ils arrivèrent chez mes parents .

Ma sœur Guta , arrivant à Bruxelles avec Jean , en 1945 , a eu envie qu' il annonce lui-même l' heureuse nouvelle de son retour à mes parents , en jouant de la trompette . Elle lui a donc acheté ce petit jouet , instant immortalisé en 2000 par cette sculpture de Guta ( ci-contre ) .

L' arrivée de cet enfant les aida à donner un sens à leur existence , et lui , il trouva enfin la joie de vivre :

« Dos kind

Mais moi j' étais encore loin , et Charles , mon mari , n' était toujours pas de retour , ni Albert , ni Fanny .

Lettre de la grand-mère à Eva et Chaïm en 1946 ou 1947 . Traduit du yiddish par Guta .

Nous lui avons acheté une paire de souliers de couleur marron .

Je retrouvai Charles ( Chaïm ) à Paris le 28 mai 1945 . Il avait été libéré le 1 er mai 1945 . Jean est resté à Bruxelles jusqu' à la fin de l' année scolaire 1947 . Nous avons obtenu un visa pour la Belgique car nous voulions aller le voir pour son anniversaire , en mai .

Nous avions retrouvé un vieux train à lui pour lui apporter en cadeau mais , tout vieux qu' il était , nous avons dû le déclarer à la douane et payer pour cela !

Une fois sur place nous décidâmes : « On va attendre Jeannot à la sortie de l' école

Mes parents marchaient devant , nous deux derrière .

Jeannot arrive , son cartable à la main et sourit aux grands-parents .

Ma mère lui dit : « Dis bonjour à la dame ! »

Alors j' ai souri – j' avais une dent couronnée « en or » – , et Jeannot a sauté à mon cou : « MAMAN ! ! ! » . Jusqu' à ce jour , je n' ai permis à aucun dentiste de toucher à cette dent , elle est pour moi un symbole fort , le miracle de mes retrouvailles avec Jeannot ! Il m' avait reconnue grâce à cette dent en or dont il avait gardé le souvenir !

Le retour de tous ces êtres chers et l' arrivée de cet enfant avaient donné à mes parents encore un peu de bonheur , mais la terrible douleur d' avoir perdu deux fils avait ébranlé leur santé . Ils n' avaient plus beaucoup de forces . Mon père est mort en 1950 et ma mère en 1954 .

À mon retour à Paris , je n' avais pas envie de réintégrer l' ancien logement , 151 rue de Crimée , mais Charles a insisté et nous y sommes restés .

Nous avons trouvé du travail chez un même patron , le tricoteur Redler , moi comme bobineuse et Charles comme mécanicien . Les Redler n' avaient pas souffert de la guerre .

Nous avons cherché un autre logement et nous en avons trouvé un dans l' immeuble où habitait mon frère Simek avec sa femme , Stefa , 153 rue de Crimée .

À son retour à Paris , Jean est allé dans une école de la rue Manin ( XIX e ) . Puis , en juillet 1949 , nous avons déménagé dans le IX e , au 10 rue Fromentin , où je suis encore aujourd'hui . Là , je voulais le faire entrer au lycée Jacques-Decour , avenue Trudaine , mais ce fut tout une affaire ! Le maître , Monsieur Boissy ( je me souviens qu' il était manchot ) , ne voulait pas l' accepter en classe de sixième . Il était très sévère . Il ne voulait même pas m' accorder un rendez-vous .

Alors , un jour , j' arrive en pleine récréation . Je m' approche de lui . Il ne dit rien . Nous nous sommes regardés et je lui ai dit : « Donnez -lui deux semaines pour se préparer et se mettre à niveau pour entrer en classe de sixième . » Il l' a fait travailler chez lui et Jean a donc passé un examen qu' il a réussi .

Cette année-là , il y eut les grandes grèves des mineurs , des transports . Du 4 octobre au 29 novembre . Il y eut deux morts . Serge Nigg avait composé le « Chant des mineurs » qui était devenu l' hymne des grévistes .

Jean ne pouvait rentrer à la maison pour déjeuner alors je lui apportais tous les jours un sandwich que je lui faisais manger au Café des Oiseaux ( qui existe toujours ) où nous buvions quelque chose .

Haïm ( Chaïm ) et Waldemar , le mari de Ciporka Gutnic , s' étaient associés et nous avions pris une pièce de notre appartement comme atelier . Il y avait trois machines à coudre . Nous cousions de la broderie sur des vêtements pour enfants . Waldemar était chargé des achats . Ciporka et Chaïm étaient à la machine . Moi ? Je faisais , en alternance avec Waldemar , les achats de tissus ( soie pour broderies ) , fils , etc . et je m' occupais de l' intendance … courses , repas entre autres . Je militais à l' UJRE , 14 rue de Paradis .

Mais il y avait la morte-saison ! et la vie était très difficile . Heureusement , Jean avait pu obtenir une bourse à son entrée en sixième .

Il continuera à étudier à Jacques-Decour jusqu' en 1956 . Puis ce sera le lycée Henri-IV de 1956 à 1957 et , de 1958 à 1961 , le lycée La Fontaine d' où il sortira professeur de musique .

Dans l' amour retrouvé , après ma libération d' Auschwitz , après le retour de captivité de Chaïm , mon mari , nous avons rebâti notre nouvelle vie .

Ce fut alors la naissance d' Elie , le 12 janvier 1952 , mon second fils , à la maternité de la Cité Malesherbes .

Elie porte le prénom de mon père , un prénom qui nous a toujours été cher , car c' était un homme érudit , digne , un esprit à la manière de Mendel Moyshe Sforim , notre classique yiddish . Il connaissait et condamnait les faiblesses humaines , mais avec amour et indulgence .

Un moment de calme , après

Une vie de guerre , de misère ,

Un moment calme après les chagrins , les douleurs

Retour à la vie à deux dans la Liberté

Dans l' amour retrouvé

Le douze janvier mille neuf cent cinquante-deux

Mon fils Elie est né .

Paris , le 12 janvier 1952

Mon père est décédé en 1950 . Il n' a pas connu Elie . Ma mère , qui était venue s' installer chez moi après sa naissance , est décédée en 1954 .

Chaïm , malade , a dû faire un séjour au sanatorium de Marianske Lazne

Il a pris sa retraite en 1970 après avoir milité sans cesse à l' UEVACJ

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